feuillet 1 – anamnèse

Mélusine ? Je la connais d’aussi loin que je me souvienne.

Nous fûmes, j’en suis certain bien que ne m’en restent que les impressions d’un rêve de fièvre, tous deux d’une secte gnostique – c’était à Alexandrie, ou peut-être à Urbicande – qui se réunissait dans le bâtiment désaffecté d’anciens thermes, profitant, sous les voûtes teintées de vert, de la fraîcheur suintante du frigidarium ; comme dans le hall d’une gare d’aujourd’hui, nous y déambulions en de petits groupes ; et j’ai souvenir, comme elle devisait dans un comité autre que le mien, d’avoir croisé son regard, fixé captivé ses prunelles comme elles emmenaient ses iris d’argent jusqu’à l’extrême jonction des paupières, et d’avoir su à l’instant même – d’une foi qui m’est restée à travers les siècles – que brûlait sous cette glace plus qu’en tout être sublunaire, un fragment vif encore de ce feu primordial à nous désormais inaccessible, mais dans la chaleur duquel à la naissance de l’univers et avant que ne soit le temps, nous avons dansé tous deux cœur contre cœur – avant, aussi, que le démiurge ne nous sépare et nous jette dans l’ici-bas terrible.

Plus tard, je la croisais à l’âge des chevaliers, comme dans l’athanor je cherchais une formule qui transmute les âmes et les métaux. Au détour d’une forêt des pays cathares, elle m’apparut serpente, dans toute sa splendeur, et bien que fée, bien que bâtisseuse, cherchant elle aussi cette pierre introuvable, celle que je croyais, moi qui ne bâtissais rien, avoir trouvée dans le pers de son regard. Un instant, nous filâmes vers le nord le verre d’un amour courtois – plus fin et ténu qu’on ne le file sur les îles vénitiennes – avant de n’être de nouveaux séparés par cette vicissitude des temps qu’aucune alchimie ne vainc – c’est crois-je encore, pour un millénaire la dernière fois que j’aimais son incarnation.

Mélusine – dans le cycle qui s’écoule encore à l’heure où j’écris ces lignes, sa figure m’a longtemps hanté ; surgissant partout dans les fractures du monde où je me plais à croiser – ces antres d’obscurité retirée des grand-rues qui subsistent contre et malgré la modernité, et cependant à sa faveur. Sa présence muette accompagnait mes introspections lorsque jeune encore, je savourais la solitude et les ténèbres dans les souterrains de la ville. Plus tard, je l’apercevais dans les terrains-vagues de Berlin, dans les reflets de la Spree, ou, halo flottant dans le ciel tourmenté, elle accompagnait mes avions vers l’Autriche brûlant sur l’aile comme un feu de Saint-Elme ; à Brème elle dansa devant moi dans Böttcherstraße tandis que pointait l’aube.

Ce feu-follet familier je le conservais comme muse mais renonçais à l’étreindre, ayant puisé dans la sagesse des éveillés, dans la morale du combat et dans l’amour éperdu, sain et quotidien d’une autre fée, une fille de Gaïa brune et sensuelle qui m’a sauvé de l’abîme, les ressources nécessaires pour renoncer à être. Mais, me semble-t-il, voici que le destin de nouveau me la présente incarnée – Mélusine, Mélusine au feu de lune.

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Petit être

"je suis un être / entouré des forces magiques / de toutes choses / là où je marche / un phoque respire / un morse hurle / une perdrix des neiges jacasse / un lièvre se blottit / moi petit être / entouré des forces magiques / de toutes choses / un être minuscule / ne sachant rien faire / ridicule et bon à rien"

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