Je me sais béni des dieux – combien d’hommes peuvent se plaindre d’avoir trop de fées dans leur vie ? – et je ne suis pas un poète mais un pauvre mercenaire qui caresse la plume passée à son chapeau – celle d’un fou de Bassan, faute d’avoir trouvé celle de l’albatros, d’un oiseau-lyre ou d’un ces flamands qui volent si haut et se mirent comme autant de soleils couchants dans le pâle cobalt des lacs salés – non, un mousquetaire scribouillard auquel on n’a qu’appris à mépriser la peur et chercher querelle.
Il faut donc que j’avance – et c’est taire ce qui pour cette vie sûrement ne saurait advenir. Si la nymphe mélienne s’accommode de certaines nixes au motif que leurs sources sont jaillies d’une autre vie, je ne saurai, sans trahir son cœur, à Mélusine confier ma passion ; sans trahir son cœur et le mien – celui-ci, certes, mon silence ne le trahira pas moins, mais il m’épargnera de heurter Mélusine de trop inopportuns sentiments et de me heurter moi-même au mur d’yeux incapables de m’envisager amant. J’en serais quitte pour une plaie mais on sait à mon âge que de telles blessures cicatrisent et guérissent.
Il reste que je ne sais éviter de sentir sur les terrains usuels de mon rêve la vibration si intense de la serpente, d’en deviner comme le corps astral – présent, décalant et sauvant le monde de sa présence ; ni dès lors empêcher les mots de brûler mes lèvres, ou prévenir l’imagination de s’emballer – et de me figurer, du fond d’une apnée en eau profonde, combien douce serait la malédiction que ces émotions soient partagées. Et je ne sais, encore, retenir ma main, plus prompte que jamais à la calligraphie d’un chant qui se compose de lui-même, comme dicté dans une transe, et que je veux confier à ces cahiers, comme un moribond mord son oreiller, mais préfèrerait de tout son saoul hurler vers la nuit au milieu du désert.
(Mais qu’importe – c’est une veillée d’armes et un combat dans la foulée. Cet univers est mien – il faut frapper, frapper, frapper et écrire pour retrouver le souffle.)