Il faut écouter Joël – lui, l’ultime planteur de Karukera, dans l’ombre odorée sous la touffeur de ses caféiers – les derniers de l’île, lorsque, comme symbole d’une survie de l’être en deçà des falsifications de l’instant, sa bouche conte l’histoire d’une floraison, ou sans feu ni aigle ni chaîne, la poésie d’une profanation. L’on suit alors cette orchidée qui traverse les mers jusqu’où l’abandonne l’abeille – et il n’est de hasard à ce que Mélipone soit si proche de Melpomène quand le miel aurait pu en adoucir le chant, à l’heure où l’une et l’autre s’éteignent. Mais comme sur les marches des temples mayas où le sacrifice des hommes nourrissait le soleil, ici le parfum naît du sacrifice d’un sommeil, car c’est nuitamment que fleurit cette liane, une fleur chaque nuit. Et chaque nuit, les femmes se substituent à l’abeille – on les dit marieuses, je les imagine prêtresses, dans la nuit parfumée, lorsqu’elles saisissent dans leurs tresses un dard d’oranger pour déchirer le label et d’un geste furtif, écraser le cœur des pétales verts.
– Mais : qu’advient-il du miel ?