Longtemps, j’ai chassé les mots – toujours orduriers, grossiers ; des barbares qui confondaient la culture et le désert où je suivais leur trace – une salissure sur le blanc du vide.
Longtemps j’ai chassé les mots – traitres à leurs paroles, traitres à leur promesse. Je chassais les noms, nœuds infâmes qui empêchent le monde de s’écouler, de se vider de lui-même en lui-même, boucle étrange d’un sablier d’Escher, dans chaque ampoule duquel gronde une mer non moins étrange et pénétrante et qui n’est jamais ni tout-à fait une autre, ni tout-à-fait la même – une mer sans limites, son chiffre a la couleur de tes yeux qui est celle de la transcendance.
Et moi, impuni, je chassais les mots, pauvres jeux d’existences. Je les dépeçais, insensible à leurs cris. Et les ayant tués, j’errais sur ces plages, incapable de retrouver dans le sablier le chemin des ampoules antérieures ; et par désœuvrement, je ramassais leurs coques, et de ces lettres vides, colorées, je façonnais un collier que j’offrais à la mer.
Et puis un jour, je retenais ma lance et regardais ce mot sur le sable, tremblant, acculé, maculé de larmes et de sang. Je retins ma lance et le soignais, le lavais dans les eaux – et je m’aperçus que son sens était pur et beau.
A présent j’efface les traces dans le sable pour que les autres chasseurs ne puissent suivre les mots, je les soigne et garde avec moi les mots qui le souhaitent. Pour moi, ils dessinent quand vient le soir en colliers des poèmes jamais vus, et quand j’aurais guéri assez de mots, je fabriquerais un radeau et nous prendrons la mer.
Ce mot, ce jour-là, c’était ton nom.