maelstrom I

 

 

Le XIXe siècle fut fasciné par le mot ; sans doute qu’entre la passion du romantisme pour les forces sauvages de la nature et la fascination du temps pour l’inexplicable et le caché, son attention n’aura pu être qu’attirée par ces tourbillons mugissant dans les mers nordiques. Sans doute aussi que les sonorités même du terme enflent et mugissent, seyant à la grandiloquence en vogue qui hissa Hugo sur son pinacle glissant.

On a appris depuis qu’il ne suffit pas que le verbe ronfle et rodomonte pour être puissant – et qu’il y a plus de poésie dans le “Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment d’un aussi grand amour” d’une Garance des rues que dans les misérables mots : « Paris est un maelström où tout se perd, et tout disparaît dans ce nombril du monde comme dans le nombril de la mer » – misérables d’autant plus malheureux qu’ils défenestrent la beauté du phénomène pour l’envoyer s’écraser dans la décharge humaine.

On a aussi appris depuis assez de la physique des mers pour que son mystère n’enthousiasme plus ; et si la fascination pour l’abîme se prolongea au moins jusqu’au matin des magiciens, l’hydrologie marine et l’avènement d’un post-modernisme dandy qui juge du meilleur goût une langue blasée ont relégué les maelströms dans l’oubli – dans une de ces boîtes de brocante où seule une Pythie sachant lire l’aura peut dénicher les trésors cachés.

A moi qui ne suis ni des cohortes romantiques, ni des voyantes de Delphes, il semble que l’on s’est trop attaché à l’apparence de la chose même – et qu’on me pardonne si de Moskstraumen et Corryvreckan, je retiens d’abord les îles, Moskenesøya et Værøy, Jura et Scarba, comme autant de Tristan et Yseult maritimes – rocs insolés, esseulés, mais d’une seule même roche comme d’une même âme et qu’a séparés la mer – ou le destin, c’est égal.

Quand on y réfléchi,
c’est l’abîme qui les réunit.
Et je veux voir dans ce gouffre une tentative mosaïque d’assécher l’amer au point du détroit, que puissent se lier deux langues de terre, entendre dans le mugissement de ces tourbillons qui couvrent les marées la passion d’un chant orphique, racontant l’impossible alliance d’iles amoureuses pour des millénaires.

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Petit être

"je suis un être / entouré des forces magiques / de toutes choses / là où je marche / un phoque respire / un morse hurle / une perdrix des neiges jacasse / un lièvre se blottit / moi petit être / entouré des forces magiques / de toutes choses / un être minuscule / ne sachant rien faire / ridicule et bon à rien"

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