« [au moins une page manque](…) une diaspora du secret qu’on appelle l’Archipel.
Il est dit que, quand s’effondra le ciel antérieur – celui où renaître, celui où fleurissait la beauté – les éclats s’en dispersèrent de par le monde. Les experts en fait ignorent si ce sont des fragments du ciel lui-même, ou du rêve qui s’y déployait – et ceux qui connaissaient la réponse se sont tus à jamais. D’autres encore prétendent que ce sont des lentilles qui, ajointées selon l’ordre mystique précisé dans les livres maudits, permettent d’entrevoir le contre-monde ou le royaume. On raconte aussi que quelques artistes, initiés dans les émaux et les mystères du souffle, sont capables d’imiter, voire de de reproduire à l’identique et de compléter ces fragments.
Toujours est-il que des hommes ont tué pour se les procurer, et qu’une poignée de collectionneurs tueront encore pour cela. Ingmar-le-fol aurait réalisé le rêve dément d’en bâtir une complète serre, laquelle aurait disparu avec lui, hurlant au carreau qu’il avait percé le voile de la couleur. Avant de ne disparaître à leur tour un soir qu’Altaïr était haute dans le ciel, les Sept-Témoins-d’Ingmar ont affirmé l’avoir entendu réciter l’Incantation dite de la Vouivre, puis que des Salamandres-turquoises avaient enlacé le bâtiment comme il s’effaçait dans la lumière.
Pour moi, je me contente avec une crainte révérencieuse de collectionner la vue de ces morceaux – J’ai eu la surprise d’en trouver plusieurs exemples dans les sphères du jardin botanique de Belfast. D’autres ont été insérés dans le retable de Saint-Matthew à Jersey, dans une fresque murale offerte par Klimt à un particulier de Vienne, et l’on en devine un les soirs de solstice dans un vitrail de Sainte-Catherine à Honfleur. J’ai aussi découvert, chez un collectionneur japonais, un services de verres à vin du Rhin dont chaque pied est fait d’une aiguille qui ne révèle son secret que si le vin et le moment sont les bons.
A chaque fois, patiemment, je note les signes qu’on y lit en transparence, aux différentes heures indiquées dans le Calendriel d’Amalia. J’ai la certitude que réside là leur ordre d’agencement.
Pour avoir commis le sacrilège de les photographier, je sais que je ne pourrais achever ce travail de mon vivant – j’en paierai le prix et peut-être, plutôt que la Salamandre, est-ce la mélancolie qui m’emportera. Mais j’espère que d’autres continueront.
Il faut à tout prix retrouver la Juste Séquence »
Pièce N° 01/12 358
Transcription d’un tapuscrit anonyme daté de 3 141
Fragment retrouvé avec 7 clichés identifiés comme ceux d’une d’une serre de Belfast [pièces suivantes dans la classification de 2-Cues]
Authenticité contestée.