… et puis il y a cet écureuil – enfin, je le crus écureuil puis renarde, dryade ou kodama ; en fait d’être, juste la grâce d’une danse ininterrompue que j’entrevis la première fois après une neige de printemps, alors que tentant d’apprendre à jongler avec des bolas de feu, je ne parvenais qu’à me brûler.
C’était un de ces jours bleu pâle où tout semble vivant, jusqu’au dernier caillou. Et peut-être était-ce par sa présence que les êtres s’animaient : il dessinait entre les arbres les arabesques espiègles de sa sarabande, et j’aurais juré voir sous ses doigts les branches s’éveiller d’un frisson doré – un scintillement de dégel, un halo de magie tendre.
Un moment, je crus bien l’avoir apprivoisé. Lors de mes promenades, je me plaisais à suivre ses bons agiles parmi les frondaisons. Un jour, il déposa au pas de ma porte une châtaigne dorée ; dès lors, croyais-je, nous fûmes amis – et il arriva qu’il s’approche et me laissât caresser sa fourrure, enivrante toison aux parfums de sous-bois.
Souvent, aussi, les brefs instants où il s’immobilisait, je plongeais mes yeux dans son regard où passaient tant de choses : une curiosité inlassable, des mystères qui prenaient sens – la migration des grues haut dans ciel, le miracle des noisettes à la chute des feuilles ; oh, et parfois aussi, comme la joie d’une affection intense – pour la vie, peut-être pour moi ; mais rien, jamais qui n’acceptât ni l’univers des hommes, ni mes amertumes d’ermite.
Un matin d’hiver je ne sais ce qui se passât ; peut-être que l’une de mes réactions trop vives le fit sursauter ; il me mordit le doigt et disparut sans retour. Son ensauvagement. L’hiver dura longtemps, sans qu’à mon doigt guérisse la petite plaie rouge à la forme de ses quenottes.
Mais l’autre matin, comme je regardais sur le manche de ma cognée, se former la tâche sombre d’une goutte de sang, je vis ces empreintes près des osiers pourpres ; et je devine quelle menotte a déposé cette châtaigne anonyme que j’ai trouvée devant ma porte – une rougeal d’estèbe grosse comme un poing d’enfant, à la coque écarlate, et sucrée, aux arrière-goûts de pommes.
J’ignore en revanche s’il veut que je l’aperçoive, et j’hésite à sortir par crainte de l’effrayer. Me laisserait-il retenter un apprivoisement ? Ce matin à l’aube, le soleil avait fait fondre le givre et la grive chantait. Je me dégantais et levant mon index qui pique encore, j’éprouvais un vent plus doux, et crus sentir un parfum connu de sous-bois.
Peut-être l’hiver touche-t-il à sa fin…