Мария Александровна Спиридонова

mspiridonova

tu dis
qu’elle est belle cette rivière sibérienne
quand elle ôte sa fourrure blanche aux temps de débâcle, entre ses rives aux fleurs blanches et écarlates dans l’air cristal de iakoutsk ;
qu’ils sont beaux les drapeaux rouges et noirs,
une diva dont la robe virevolte dans les salons dorés de petrograd
quand ils claquent au dessus des foules en colère ;
qu’ils sont beaux ces ouvrages dérobés aux librairies
où le capital s’offre les avant-gardes à vendre
– c’est égal : maïakovski et essénine ne sont toujours pas réduits au silence
pas plus que ne le sont crevel, cravan et desnos ;
et tu dis qu’il est beau ce monde qu’enchante ton regard…

mais moi, de l’histoire, je ne connais que la courbe douce de tes joues où la lumière se pose comme une feuille d’or blanc,
le bandeau dans tes cheveux comme une couronne de roses et de fleurs d’oranger ;
et je sais ce qu’ignorait le poète – qu’existent les pavots polaires, les silènes acaules, et les dryades a huit pétales,
seulement, de toutes les fleurs, arctiques ou tropicales – ton ikebana sur le clavecin du philosophe -,
je n’ai d’yeux que pour tes yeux

comme j’aimerais de la pulpe de mes lèvres suivre le trait qui va du lobe de ton oreille à la naissance de ton cou ;
et de la pulpe de mes doigts tracer sur la face cachée de tes avant bras
la caresse d’un tatouage visible aux seuls anges initiés
gardiens des sceaux qui retiennent l’hydre
le poème d’amour de la création du monde
– un poème d’amour d’avant la création du monde,
n’est-ce pas cela, dis-moi, une révolution ?

et sais-tu, de temps en temps lorsque tu n’es pas là
le besoin de toi, comme une lame de fond,
passe, noie tout quelques heures durant, se retire et laisse
un limon fertile sur des blocs d’ambre où patientent des graines de lianes d’argent et de belles de jour, attendant la reconquête des couleurs ;

et dans l’attente flotte comme la mélancolie d’une ballade irlandaise
où les guitares chantent les amours malheureuses d’un prince pour une femme cygne de l’autre monde

alors j’arpente steppes et montagnes, de l’oural à la kolyma
et j’interroge les êtres racines et le bleu des myrtilles au plus profond de la taïga
pour composer un chant chamane qui te puisse ensorceler aussi bien que tu m’ensorcelles,
ancrer définitivement l’autre monde aux ombres de celui-ci ;
et dans les émouvances nuageombreuses de l’horizon, aller chercher ton cœur même au plus froid des glaces

et si je ne le trouve pas,
cela fera du moins une jolie chanson

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Petit être

"je suis un être / entouré des forces magiques / de toutes choses / là où je marche / un phoque respire / un morse hurle / une perdrix des neiges jacasse / un lièvre se blottit / moi petit être / entouré des forces magiques / de toutes choses / un être minuscule / ne sachant rien faire / ridicule et bon à rien"