le silence de l’oracle
dans la cité des sables…
– non, non, il faut que j’explique
encore une de leurs erreurs
croire le dédale inhabité, si ce n’est du taureau, de l’architecte et d’icare
mais non, non, pour être cruel, il y fallait une ville,
une pute de négoce à la mode de babylone,
un cadavre grouillant de marchands en cohortes
qui tirent profit d’une croisade folle
– un mensonge lucratif, un marché aux esclaves qui rapporte gros
trop occupés pour se savoir prisonniers, s’imaginer bourreaux,
à rire de leurs vins dans leurs tenues chatoyantes et leurs chars rutilants
Ils ne voient pas que la cité est construite dans l’ampoule basse du sablier
et qu’elle s’ensable, prend la poussière et la lèpre
boule à neige, boule à sable, de la pacotille
oh je m’en moque, icare n’a rien d’un croisé,
il n’est qu’un mercenaire auquel indiffère de cogner dans leur monde
ce n’est pas au moment de l’assaut qu’on se demande le pourquoi d’une guerre
l’assaut est incessant, il faut bien une pitance et leur sang n’a pas mauvais goût
seulement, il y a ces matins
avant l’aube, une vigilance vaine
on voudrait n’avoir pas ouvert les yeux, ne pas les ouvrir
rester dans un puits d’inexistence plus noir que la nuit
d’un noir plus dense que la ville pour ne pas voir, entendre
les mensonges du droit, un carnaval de mots vides
les vulgarités d’un budget, ces fatuités d’ombres indignes
d’ombres élues, administratives, mercantiles
des amas de poussières auxquels on ne peut croire…
– et la pythie qui se tait,
son silence qui laisse tant de place au vacarme
ne pas
ouvrir les yeux, avoir à se frotter aux hommes,
essuyer leurs parodies, aux lèvres le sourire impassible d’une momie,
un masque ! et retenir en soi la bête, cette envie brutale de les dépecer
rien que d’y penser,
savoir la violence qu’il va falloir y mettre
non tant pour cogner dans leur monde, c’est si facile,
que pour cogner, presser et tordre encore ce monde qu’ils souillent
en faire sourdre trois, quatre gouttes de poésie,
l’une pour survivre, s’abreuver
conserver l’autre dans un lacrymal pour l’offrir à la pythie si je la revois
de la troisième, faire un collyre, pour voir sous la poussière, retrouver les rues qui sortent de la ville, les parts abandonnées du labyrinthe et mon jardin,
de la dernière, tracer un pentacle comme un retranchement
que ne puissent m’atteindre leurs groins puant de pestes
le temps qu’en rêve je retourne aux chamanes
[biche automnale, chamane aux yeux marrons,
une infirmière d’encre
une nouvelle fois, rebranche la sève –
la vie et le poème comme des perfusions
d’anodine indole moirée d’or
dans ces iris se reflètent les colonnes d’un temple solaire
– aux clés introuvées
un chant léger comme un baume
sur les cicatrices de chaque aurore
ibis de printemps, chamane ka d’argent
s’égaye un vol de haïkus aux yeux vairons
des flamands bleus qui emportent la nuit
– mais laissent des énigmes
poisson chamane aux yeux de mer,
chamane delphique, chamane mystère
brûle la sauge, tisse des attrape-rêves fleuris de silences
et paradoxes, comme des anémones incompréhensibles
si les rêves agréent, il faut les cueillir
s’ils n’agréent pas, pourquoi y venir]
avant de ne retomber
dans le silence des oracles
dans la cité des sables
heureusement
on y croise encore
des papillons sphinx