souvenirs du froid pays

noirs_soir copie

Était-ce d’avoir bu l’eau de cette fontaine qui ne figurait sur aucun plan ? Toujours est-il qu’Henri et la poignée de ceux qui épousèrent sa fuite étrange ne parvinrent jamais vraiment  à ce qui avait été – ou peut-être : aurait pu être -, leur demeure. Une partie d’eux-mêmes restait incarcérée au fin fond du dédale et des couloirs, au fin fond des docks et des landes pâles.

Dans la diffraction d’un éclat de lumière sur le flanc d’une carafe, dans le bleu métallique d’un rétroviseur, et même aux heures les plus chaudes, dans la réfraction du soleil dans une flaque, ils continuaient de voir, comme par des fenêtres, ces paysages dépeuplés de silhouettes incertaines et de lueurs glacées.

Coincés pour ainsi dire entre les mondes, ils ne cessèrent de séjourner dans cette brèche, jusqu’à n’être plus que de hâves ombres au regard hanté. Mais comme l’on finit par aimer jusqu’à la nostalgie, leur chair se fit à la froideur de leurs os. Et ils restèrent seuls, dépositaires du Froid pays comme d’une malédiction ou d’une terre promise ; seuls à deviner, enchâssés dans les isolateurs en verre des caténaires, quelques anneaux votifs d’émeraude ou d’aigue-marine ; seuls dans la cohue des gares, à voir, sur les préaux la poussière rousse et les feuilles noires, s’animer d’une vie propre aux rayons déclinants d’automne – et se lever, pour une danse macabre sur les poutrelles ; seuls à savoir, enfin, quels noirs secrets se murmurent dans ces voitures que l’on ne voit passer, comme, au point du jour, la menace silencieuse de ténèbres qui reviendront.

(Paris, 2008)

Publié par

Petit être

"je suis un être / entouré des forces magiques / de toutes choses / là où je marche / un phoque respire / un morse hurle / une perdrix des neiges jacasse / un lièvre se blottit / moi petit être / entouré des forces magiques / de toutes choses / un être minuscule / ne sachant rien faire / ridicule et bon à rien"