claclaclac :
l’entraînement d’une pellicule, neuro-halogénure
il fut un temps où l’on retenait ses larmes
plusieurs heures par jour
même aux grands matins des étés insolés,
des étés insolents de la jeunesse dans les bras des filles dorés comme l’orge,
et sous leurs baisers de soleil liquide aux douceurs de bière fraîche ;
même aux soirs d’ivresse des aoûts filés d’étoiles
comme une hermine de prince médiéval – à la tour abolie, et du monde déshérité,
il fut un temps ou l’on retenait ses larmes
à toute heure,
même quand on riait à gorge déployée
avec une légèreté de mouette jouant dans le vent,
et cette impudeur d’amygdale qu’ont les viandes après le billot,
un oiseau de viking fait avec les poumons,
de savoir bancales les équations d’une terre sans muses ni lunes,
les manœuvres d’un échiquier dont les joueurs à trop tricher ont rayé l’ébène et la nacre
il fut un temps où l’on retenait ses larmes
ce temps est révolu et les yeux sont secs et vides malgré la poussière
on s’est accoutumé à la douleur
et d’yeux secs et vides,
on regarde sur ses doigts
les taches d’encre
l’indigo des estampes
à défaut du ciel
comme on paye son cœur en faux monnayeur pour qu’il batte encore
malgré ces blessures qui ne guérissent et ne guériront pas,
(on le sait du savoir de cassandre, tyrésias et d’hermès-esculape)
et s’ajoutent aux blessures, les autres, plus anciennes, qui ne peuvent guérir
vous vous êtes accoutumé à la douleur
isolé sur une mer de cire
– une île de carbone sur une mer de cire,
est-ce cela le masque du chagrin,
la vérité de sa face interne,
masque d’infamie avec ces crochets de métal qui déchiraient les joues
quand il y avait des joues ?
mais voyez comme il sourit bouffon vers l’extérieur
vous vous êtes accoutumé à la douleur
comme on s’accoutume à tout
et même quand on voudrait pleurer,
même quand on pourrait pleurer
les larmes ne viennent plus
ne viennent
plus
mais maintenant qu’il ne sera plus l’heure
et que jamais plus nous n’aurons l’âge,
vous pouvez tomber le masque
et sourire – même si c’est d’une grimace
entendez-vous, sourire ! – Souriez,
vous êtes filmé
et les bancs de brume font clignoter les fanals falots du chenal
il n’y a pas si longtemps que ce cadavre prend l’eau
il ne puera pas tant que la marée basse
sur les plages d’houlgate où pourrissent conches, varech et goémon
quand l’emportera le trait empesé des frisons en robe noire
et la danse en draperie de leurs fanons longs balayant le sol
souriez-vous-êtes-filmé
et que garderez-vous des images qui sautent
toutes piquetées, grignotées de moisissures comme des halos solaires,
la pourriture noble sur une vigne sacrée que l’on ne récolte que pour abreuver les bacchanales
et culbuter les nymphes dans le jardin des dieux ?
pas les parties de chasses et leurs curées,
ni les chutes d’enfant sur les graves dures qui écorchaient les genoux,
ni les aubes arides des matins de fièvre,
où les lèvres bleu de plomb imploraient pour de l’eau,
oh non
ne resteront, ce n’est déjà pas si mal, que des bribes,
en oripeaux, le vestige souillé d’un manteau impérial tout brodé de dragons,
bribe, le tango de mains ivres autour d’un chagrin de sangria,
bribe, des baisers dérobés les après-midis de mai sur le banc d’une place,
dans une cour d’immeuble,
bribe, la voix d’une maitresse chuchotant un poème espagnol, sur les toits baignés de lune, tracés de larmes et de sang où bringuebalaient amis et lanternes
bribe, des silences longs comme le vol d’une grue de papier
et qui soudain prend feu dans une gerbe d’étoiles
au bleu mélancolique des horizons baltes,
bribes, dans un désert que le vent érode,
les os blanchis et tristes d’un amour fou