
Faute de place, un extrait seulement d’une élucubration qui m’a obsessionnellement occupé depuis deux mois et demi. L’élucubration dans sa totalité est ici :
(…)
Le Faune : ….bande de philistins ; bourgeois, bourgeois, bourgeois ; bourgeois héliotropes, héliophiles, photolâtres ; et pas de nymphe à perpétuer : j’étouffe.
Même leur cinéma, « l’invention des frères Lumière ». Tu parles de lumières. Il faut voir ce que ça a donné. Une diaspora de
salles noires tout justes bonnes à traire, sans qu’il s’en
aperçoive, un troupeau inapte, inepte, et inerte.
Une diaspora de salles noires dans un monde
blanc,
propre,
aseptisé,
lumineux,
et bourgeois. Tout est bourgeois. Même la muse, tiens.
Morte.
Ou vendue, ce qui revient au même. Oui, « j’aimais un rêve ».
N’aurais-je promis à Alice de m’occuper d’elle le temps que l’on retrouve son tuteur, j’en finirais.
En attendant, je n’ai même plus d’yeux pour pleurer.
L’eau et le sel s’écoulent de mes orbites vides ; mais c’est tant mieux, sans doute, puisqu’il n’y a plus rien à voir. Si ce n’est ce soleil horrible, éblouissant.
Gorki, en découvrant le cinéma, n’y vit que des ombres. Cela le mit mal à l’aise. Il ne savait pas sa chance. Voir et voir des ombres, quel rêve ce serait…
[Entre le Hérault, suivi par son porte-étendard. Le porte-étendard reste derrière, et le Hérault prend la pose pour déclamer son avis à la population. Mais il voit le faune, hésite, hésite encore et se dirige vers lui. Il parle à mi-voix pendant toute la scène.
Très bas, le son de Saturne se substitue au son d’Uranus.]
Le Hérault (pour lui-même) : Crénom, le Faune ; il n’est plus que l’ombre de lui-même. (Au Faune) : Holà, Faune. Mais que fais-tu donc sur Ganymède ?
Le Faune : Qui le demande ? Je ne vois plus rien. Bah, qui que tu sois, je m’en moque. Pour l’heure, je ne fais ici rien qui vaille la peine d’être vécu. J’erre.
Le Hérault : Oh ! Bien, très bien. Continue, ou mieux, va errer ailleurs. Je croyais d’ailleurs que les spadassins de Salomé t’avaient chassé de Ganymède ?
Le Faune : Tout se sait, hein ? Eh bien, qui que tu sois, non, tu ne sais pas tout. Les spadassins de Salomé m’ont pris mes yeux. C’est déjà bien assez. Mais ils ne m’ont pas chassé. Sans doute que la sorcière veut garder l’aveugle à l’œil.
Le Hérault (toujours à mi-voix) : Ah… eh bien, moi, Hérault de Rhadamanthe, je te chasse. Tu n’as pas ta place dans cette pièce. Rhadamanthe-l’épris-de-justice a pour les lunes Galiléennes des projets dont tu n’es pas.
Le Faune : Rhadamanthe ? Voyez-vous cela ! Il se dit pourtant…
que Jupiter et ses lunes vont tomber aux mains d’Hypérion,
que Salomé ne fait que préparer l’arrivée de son promis solaire.
et que la disparition d’Obéron d’Obéron est un prélude à la conquête d’Uranus…
Se pourrait-il que Rhadamanthe enfin s’insurge devant tant d’iniquités ? Mais l’épris de justice, sur son trône purpurin est-il bien sûr, en me chassant, de ne pas contrarier les plans de Moïra ?
Le Hérault (soudain plus fort, outré) : Et qu’est-ce qu’un faune aveugle et mendiant sait donc des plans de Moïra ?
Le Faune : Je sais que Moïra est un petit-être de rien du tout sans lequel la pièce que tout le monde joue maintenant ne serait pas. Mais je vais te dire, Hérault, tu veux que je quitte Ganymède ? L’autorité de Rhadamanthe n’a pas cours ici, mais soit, j’y consens. Seulement j’ai deux demandes. Voici la première : trouve-moi quatre noix de ces Caroubes pourpres qui poussent sur Pluton, et je disparaîtrai.
Le Hérault : Des noix d’immortalité ? Cela ne circule qu’en contrebande. Et que feras-tu de l’immortalité, triste faune, sans muse et sans yeux ?
Le Faune : Rien de bon sans doute ; j’éprouverai dans les millénaires à venir le temps et la perte de toute chose. Faute de muse, cela me fera peut-être de quoi chanter…
Le Hérault : Chanter la fin des temps, c’est cela ton problème ? Tu auras tes noix, va. J’ai moi à m’occuper de choses plus graves et immédiates ; de justice et de politique et de réaliser l’impossible vœu de Rhadamanthe de limiter les débordements d’Hypérion et de justifier l’intervention de Saturne dans les affaires de Jupiter. Je ne sais pour l’heure comment m’y prendre. Mais je sais que je n’ai pas besoin d’un chanteur dans les parages… Et ta deuxième demande ?
Le Faune : Peux-tu me dire où est Lewis Carroll ?
… le début et la suite en pdf, désolé.