lueurs

ce pourrait être la musique d’une chasse
entre les réservoirs, les hautes cheminées
les torchères haletantes dans le ciel d’orage,

dans une mare, dans une flaque
qu’on croirait de gaz oil sombre et d’argent
les cerfs se mirent ; leurs yeux flamboient

comme des catadioptres,
un ruban de chantier déchiré qui claque au vent,
des bornes de travaux

vinyle-toi

…dans un miroir fendu
j’aperçois ton visage blanc
happé par la nuit
je me perd dans l’abîme
d’un reflet bleuté
sur le vinyle d’un vieux disque

comme deux esquisses de fusain
l’une contre l’autre tremblées
aux heures blafardes d’avant le jour
qui sommes-nous ?

– et comme pour éprouver le réel,

sur le plastique noir
(luisent tes yeux)
tu casses la mine carbone
(luisent tes ongles)
d’un crayon de bois rouge
(luisent tes lèvres) –

peut-être seulement deux ombres
sur le point de s’effacer

after pastel

Oh, ce serait l’ultra-marine fantaisie d’un trajet quotidien,
la métamorphose occulte d’un linge,
comme d’un spectre dans un lavoir d’encre
– et comme on lierait des logogriphes d’azur aux âmes des bétons –
si le bleu est d’outre-mer – au risque de le trépasser –
d’aller chercher outre le bleu ;
et jusqu’au sang du songe même, l’ultime égalité
de ce qui se dissout d’une pâleur sans appel.

sérénité

I.
Au point du jour, s’attardent
sous les tamariniers, d’odorantes ténèbres.
La brume en écharpe pâle sur les herbes déchirée,
s’élève de la rivière dans l’aube bleuâtre.

II.
Sous les tamariniers, l’homme mutilé se dresse.
La fièvre tombée, la rosée l’éveille.
Il fend les herbes hautes
s’abreuve au miroir des méandres.

III.
Dans la nuit mourante, l’éclat d’azur serpente entre les ajoncs.
Lisse et pâle au plus haut, le ciel est rosé au prés des collines noires.
De l’aube chaude, le souffle paisible s’éloigne –
sous les faux poivriers, d’une échappée vers la mer.

Feuillet 6 – fusion d’âmes

Peu après je rêvais. Je rêvais que Mélusine partageait ce rêve. Nous flottions enlacés au cœur de la ville dorée d’ un soleil inversé. Tout bruissait, tout se mouvait, s’électrisait à douceur de ses lèvres et se liquéfia finalement absorbé, cristallisé et métamorphosé dans le glacier de ses yeux. Comme on aurait découpé une fenêtre dans l’espace pour rallier les étoiles et les planètes d’une autre portion d’univers – d’un autre univers, d’une autre dimension –, elle m’emmenait.

J’accostais sur un rivage aux teintes de lune. Dans le ciel au-dessus de nous, semblait-t-il à portée de main, flottaient des engins spatiaux abandonnés. Et là, devant cet ange d’après-monde, après les décennies d’une vie d’homme et de soudard, il me fallut réapprendre l’amour – moi qui des anges de la terre n’avait jusqu’ici aimé que la sorcière et la geisha, toutes sublimées par les atours, les couleurs et les voiles de la culture – des reflets d‘ongles écarlates tranchant avec le mirage du khôl sur les lacs d’obsidienne liquide, des mamelles de vénus lourdes comme des fruits tropicaux et des jambes comme des lianes, prolongées de plateformes et de mistu-ashi hautes comme des jardins suspendus, des falaises taillées dans l’ébène et qui brillent dans la nuit.

Au bord de l’eau noire, j’enlaçais son corps frêle et nu dans la lumière grise et, le long de ses lignes d’ombres tentais de déchiffrer notes de cette étrange mélodie ; comme d’une musique dont j’aurais toujours connu et aimé les accords sans les avoir jamais entendus, accords et discords d’ailleurs d’une sauvagerie première et délicieuse – sans roman ni falsification, bon sang je n’ai jamais vu un être si fidèle à lui-même –, un amour pour la fin du monde – une poésie de mots entremêlés sur une scène de boucherie où nous entrelacions nos veines et nos entrailles, une magie de caresses et de combat, une pluie de griffures et de morsures avec un peu de l’amour entre femmes ou d’une découverte d’adolescence :

des fleurs pâles
à jamais sans succession,
puisque ne resteront après le soleil
que la poussière et la nostalgie.

L’obscurité.

A peine éclairée d’une dernière flamme bleue, une mèche de gaz, consommant comme les ultimes particules de l’ancienne terre, une fusion d’âmes sœurs.

De ce rêve, je ressortis damné, et lorsque je parle, son nom comme une incantation flotte derrières mes mots ; et lorsque je bois, j’effleure ses lèvres de ma langue ; et lorsque je marche dans le soleil de midi, j’aperçois, dans l’ombre derrière-moi, à l’extrême coin de mon regard, les engins spatiaux abandonnés qui flottent au milieu des étoiles de cet ailleurs béant dans mon esprit.

3 juin

Onze ans révolus de déclins et d’abus :
je caresse une dernière fois
l’or terne des tireuses
le bois des tables et du comptoir
à la courbe harmonieuse.

Amis, nos rires me manqueront.
Nous embrassons comme autrefois
la chaleur de ce qui s‘obscurcit,
l’odeur de la bière et les sons froids.