On dit qu’il n’y a dans les musées que des choses mortes ; j’ai toujours pensé qu’ils étaient pleins d’émotions vives. Et puis cette nuit j’ai conduit dans mon musée personnel ma dernière locomotive.
C’est… amusant, sans l’être, que l’on appelle musée un endroit fermé. Comme si l’on pouvait enfermer une muse sans qu’elle s’étiole. Et cela fait que les musées sont à l’art, comme être au monde, ce que les zoos sont à la diversité animale. Nous y enfermons sous prétexte d’une préservation, ce que nos propres actes quotidiens ont mis sur la voie de l’extinction : les pandas, les koalas, les tamarins, les lamantins, les muses. Et tout cela se meurt faute pour prospérer d’espaces encore sauvages, encore saufs de l’humaine chienlit.
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Ah, si j’étais un Grec de l’Antiquité. Si la muse chuchotait encore à mes oreilles, de chacun de ses mots, de chacun de ses gestes, des pas aériens qu’elle danse, je ferais un poème. Mais non et j’ai mené ma locomotive moribonde dans ce cimetière.
Quand de mon cœur et de mes mains je l’ai construite il y a si longtemps maintenant, elle était la première locoémotrice zeppelin à génération d’encre par propulsion cantique : uniquement émue par les ondes de fréquences musicales, dans la totalité du spectre de Klairy-Laplace ; mue toute entière par le chant et les mouvements de la muse.