fleur sacrée
lointaines comme un angélus d’autrefois
les cloches cherchent les murs
quels clochers encore debout
et quel cœur pour se recueillir
cependant
sur les scènes désolées
des théâtres de chacun
poussent encore les narcisses
orient-express
Je sais maintenant que nous sommes dans un train, un orient-express début de siècle, aux salons élégants lambrissés de bois sombres et tendus de tissus carmins rembourrés comme des écrins où s’enchâsse dans les fenêtres un mystère bleu-nuit – et qui n’est pas, ou ne peut se réduire à la plume d’Agatha, tachée de sang. Car demeure la question de savoir ce que sont ces autres trains que j’aperçois mais dont aucun passager ne parle, car tous semblent des emmurés dans le silence des conventions ; ces trains qui fendent la pluie au beau milieu d’une armée d’ambre – des ombres et des statues, et des chiens qui aboient – une armée d’ambre levée du fond des mers où ont coulé des forêts anciennes, figeant la griffe claire des grands lézards, une larme de libellule, et comme les couleurs d’un tarot antique.
la question et le cri
« Words, words, words », répond Hamlet à la question de Polonius – « What do you read my lord ? » Et cela reste la meilleure, car la plus exacte, plus honnête, plus objective et plus humble réponse qui se puisse apporter à la question : qu’écris-tu ? Il reste cependant qu’elle ne restitue pas pleinement combien l’écriture touche au cri davantage qu’au mot ; combien, toute entière, elle ne vise qu’à amener le mot au plus près du cri – un cri jeté vers le large d’une plage nocturne, en toute connaissance de l’improbabilité… absolue ? que se trouve par-delà l’horizon ou au-dessus, dans les étoiles de la constellation du chien, quiconque pour entendre. Le paradoxe est que n’en soit pas moins profonde et vraie cette autre réponse, de Saint John Perse, celle-ci, et à la question : pourquoi écrivez-vous ? : « pour mieux vivre ».
Après tout, sous la question, le cri est notre façon de mieux supporter la douleur.
trous de mémoire
il neige dans la bibliothèque
un palais des glaces
après le bombardement
– des miroirs qu’on ne saura reconstituer
s’oublient les fragments
d’une fantaisie de scalde
l’aposiopèse : une anamnèse
à l’entrée du temple
et au saut du lit
orbe
comme lancine
la guimbarde same
d’un voyage dans le rêve
je flotte sur les cimes
khôl et belladone,
bien au-dessus des plateaux pierreux
je me perds dans le charbon séduisant
l’œil d’une vache d’Aubrac
tendre et larmoyant
plein de sagesse et de mouches
défenestration
I.
Sur la pierre dure,
je m’écraserai après une
chute trop longue
dans l’abîme giboyeux.
II.
sur la pierre dure et froide
où s’écrase mon corps
où s’allonge mon corps
qui recouvre mon corps
roide,
III.
Là peut-être,
s’abreuvent à la source joyeuse,
fleurissent les pavots d’éveil
s’ouvre l’immémorial
promesse
pâle et marbrée d’extrême onction sanguine,
tu écrivis dans la neige d’automne :
« il faudra renaître » – mais les feuilles
mortes se font terre sous la bruine
se tait maintenant la grive transie
dans l’eau dormante où l’âme s’enfonce,
reste le souvenir d’une promesse :
l’hiver tue l’hiver, il faudra renaître
côte à côte
nous eûmes du bon temps
de la tendresse aussi
et des cuisines d’ailleurs ;
et nous courions la nuit les souterrains,
de notre salle étoilée à la fontaine ;
bavards parfois me semblaient ses mots, parfois, trop sucrés,
moi – sot – qui ne sut l’aimer
que trop tard
thé
I.
quoi s’évapore d’une tasse de thé ?
parmi les arbres fredonnent les ombres
murmures bleus de brahms
faons entr’aperçus de ces soirs plus chauds
II.
les squelettes noirs des arbres décharnés
revivent où bat l’aile du paon, bleu de nuit
et dans le parfum du thé, la biche triste brame ton nom.
III.
les silences du thé suspendent l’heure
les feuilles et les oiseaux se taisent dans les branches
et ne murmure que l’ambre